Depuis une vingtaine d’années, au travers de ses deux activités d’artiste et de scénographe, Isabelle Rousseau développe une réflexion singulière sur les respirations, les écarts et les intervalles qui se nichent dans les mailles de l’espace ou du temps. Au fil de sa recherche, optant résolument pour les séries, elle se propose à l’initiative de chacune d’elle un vocabulaire restreint de formes, de gestes, de matériaux et d’outils donnant jour à diverses réalisations répertoriées sous les appellations de grands travaux et menus travaux.
Encres sur papier, sans titre (2006/2009)
Technique : encre de Chine, lavis d’huiles et d’acryliques sur papier
Formats : 0,33 x 0,55m, 0,42 x 0,63m, 0,90 x 1,15m,
1,15 x 1,80m, 1,80 x 3,45m, 2 x 3,70m etc …
Je travaille au sol, déposant le liquide sur le papier avec un pinceau chargé dans un 1er temps d’encre de Chine puis d’acrylique blanche ou d’autres couleurs. J’attends le séchage complet entre deux passages. Le dessin est le résultat de la conjugaison de la répétition d’un geste, tranquille et bref, impulsé dans le poignet, et de la qualité et quantité de liquide dans les poils du pinceau, ainsi que de la forme et du poids du manche dans la main.J’opère debout, je tourne autour du papier afin que le motif se répétant constitue un ensemble se dilatant sur toute la surface.Je suis partie de l’observation des nuages.
Au prime abord j’ai été sensible à leur relation avec le sol et à leurs formes extérieures, puis à la transformation constante de celles-ci. J’ai abordé ensuite leur matière légère et leurs lumières. Progressivement je me suis approchée des gouttelettes et des intervalles d’air.
Mon travail s’est apparenté à une observation au microscope.
Je me suis mise à traiter des trames, des résilles en mouvement de ce tissu aérien tout autant que de la rondeur des gouttes et de leur regroupement.
Je m’intéresse particulièrement aux visions simultanées du corps du nuage (ses particules d’eau) et de son animation (les mouvements d’air interne) parce que j’y explore une structure évolutive et expansive qui entretient le doute perceptif quant à ce qui la constitue : est-ce l’agencement des particules solides ou le tissu invisible des intervalles qui les agitent ?
Je me suis aperçue que rendre compte de cette approche du ciel et des nuages touche en moi un domaine plus vaste et plus secret que leur simple transcription. Depuis que j’y travaille, je sais ou je sens les territoires de l’humain que cela charrie dont le rapport au sacré, le culte des morts, les questions sans réponse, l’arpentage de l’espace et de l’esprit.
Entrelacs (2006)
Technique : Encres de chine ou glacis à l’huile sur papier
Formats : 0,33 x 0,55m, 0,42 x 63m
La feuille est posée sur une table, l’encre (ou le pigment) est diluée dans un récipient. Debout face à la table je positionne le pinceau chargé du liquide à la verticale au dessus du papier. Dans un geste continu et sans reprise infléchi par la respiration et le flottement de l’état d’esprit, je répand l’encre en sillons entrelacés sur la surface jusqu’à épuisement de la charge.
Coulures (2007/2008)
Technique : Encres de chine noire ou rouge sur papier
Format : 0,42 x 0,63m
Debout, après avoir versé quelques gouttes de liquide avec le pinceau, je prend la feuille à deux mains, la secoue fermement à plusieurs reprises et dans plusieurs sens. Le son du froissement du papier dans l’air, la mémoire corporelle des gestes domestiques de la lingère, l’attention à laisser s’épanouir chaque trace d’encre guident mes mouvements et décident du résultat.